La guerre du Vietnam : une guerre asymétrique télévisée en période de Détente (1964-1975)
Image extraite de Full Metal Jacket (1987) de Stanley Kubrick
La chronologie générale de la Guerre froide comporte de nombreux paradoxes dès lors que l'on prend en considération les conflits périphériques qui se sont déroulés loin de la scène centrale européenne. La guerre du Vietnam fait partie de ces conflits périphériques. Elle invite par sa violence et son bilan humain à nuancer l'idée d'une période de Détente généralisée dans les relations américano-soviétiques de la crise de Cuba à la fin des années 1970.
La guerre du Vietnam opposa durant presque vingt ans de façon indirecte les Etats-Unis et l'Union soviétique. Elle s'inscrit dans le prolongement de la guerre d'Indochine et des accords de Genève (21 juillet 1954). Alors que ces derniers prévoyaient des élections généralisées dans une période de deux ans afin de réunir la zone Nord dominée par les forces communiste d'Hô Chi Minh à la zone Sud dominée par des forces proaméricaines encadrées par les troupes de Ngô Dinh Diêm, deux Etats que tout oppose s'affirment de chaque côté du 17ème parallèle à partir de 1955. Face au refus de Diêm d'organiser les élections promises, les vietnamiens du Nord décident de réactiver leur stratégie de guérilla au Sud en s'appuyant sur les forces du Front national pour la libération du Sud-Vietnam (FNL) aussi appelé péjorativement Viêt Cong. Les Etats-Unis décident d'apporter leur soutien au régime de Diem alors que Chinois et Soviétiques apportent leur soutien aux nord-vietnamiens. Le Vietnam sombre ainsi de nouveau dans la guerre.
Après la mort de John F. Kennedy et l'incident du Golfe du Tonkin, l'engagement direct des Etats-Unis dans la guerre devient irrémédiable. Le président Lyndon Johnson est autorisé par le Congrès des Etats-Unis à "prendre toutes les mesures nécessaires pour faire échec au communisme". Cet engagement prend la forme d'un conflit asymétrique à cause de l'écrasante supériorité technique des Etats-Unis qui ont recours aux bombardements massifs contre les positions nord-vietnamiennes et contre le FNL et à un envoi massif de troupes américaines (jusqu'à 500000 hommes). En tout, les Etats-Unis larguent 13 millions de tonnes de bombes sur le Vietnam pendant le conflit et manifestent ainsi leur écrasante supériorité aérienne. L'armement américain (avions, chars, hélicoptères) est en effet bien supérieur à celui des vietnamiens malgré l'aide sino-soviétique. Cependant, les Etats-Unis s'enlisent face à un ennemi insaisissable soutenu par les populations locales. Ce soutien s'explique par les nombreuses victimes provoqués par les bombardements qui ne distinguent pas les civils des combattants. Les stratégies de lutte contre la guérilla du FNL aboutit même par endroit à l'exact opposé de l'effet souhaité. Les épandages d'agent orange ou de napalm pour raser le couvert végétal afin d'empêcher la guérilla de s'y camoufler et de détruire les récoltes pour affamer les populations et les combattants en sont un bon exemple. Ces méthodes sont d'autant plus décriées aux Etats-Unis qu'elles n'aboutissent à aucune avancée réelle qui permettrait de débloquer la situation militaire. L'offensive du Têt menée conjointement par le FNL et les forces nord-vietnamiennes montre au contraire que les opérations américaines ne parviennent pas à affaiblir les positions des communistes qui peuvent compter sur un important soutien de la population sud-vietnamienne aussi bien dans les campagnes que dans certaines villes. C'est du moins ce que souligne le Consul général de France à Saïgon en mars 1968. A partir de cette date, les Etats-Unis sont donc contraints de revenir à la table des négociations et de chercher à se désengager progressivement du conflit. Dès 1969, Nixon adopte une stratégie dite de vietnamisation du conflit qui n'est rien d'autre qu'une vietnamisation des cercueils. Par les accords de Paris en janvier 1973, les Etats-Unis se retirent définitivement du conflit. En avril 1975, le gouvernement de Saïgon (Sud-Vietnam) capitule sans condition.
Cette guerre au lourd bilan humain n'est pas seulement un des nombreux conflits périphériques de la Guerre froide. C'est aussi la première guerre télévisée.
Cette guerre au lourd bilan humain n'est pas seulement un des nombreux conflits périphériques de la Guerre froide. C'est aussi la première guerre télévisée. On peut expliquer cette forte médiatisation du conflit par le statut des journalistes américains durant les opérations. Comme le souligne un article paru sur le site du Ciné-club de Caen, "le statut d'un opérateur de télévision, comme de tout journaliste accrédité auprès de l'état-major américain, était celui d'officier de l'armée américaine. Il est donc libre de s'incorporer à toute unité combattante se dirigeant vers le front. Il pouvait aller où il le souhaitait et assister aux combats à ses risques et périls. Les opérateurs ramenèrent ainsi des scènes de guerre jamais vues et filmées en direct (diffusées en différé). Malgré l'attitude de l'état major qui s'y oppose, les films sont diffusés. La leçon a été terrible : les gouvernements ne laisseront plus jamais libres les journalistes ni à Grenade ni au Panama ni durant la guerre du Golf pas plus que les Anglais ne laisseront libres les journalistes durant la guerre des Malouines".
Ces images ont permis de tourner des documentaires hostiles à la guerre asymétrique que menaient les Etats-Unis au Vietnam dont l'effet sur l'opinion publique américaine a été dévastateur et qui ont nourri l'argumentaire du mouvement de contestation pacifiste (Exemple: le film de Emile de Antonio, In the Year of Pig (1969)). Or, cette contestation au sein même de la société américaine a été une des raisons qui ont poussé les Etats-Unis à se désengager au Vietnam. Cela a amené certains historiens a affirmé que la guerre du Vietnam avait été perdue dans les médias autant que sur le terrain des opérations militaires. L'importance des images filmées dans l'histoire de ce conflit explique sans doute la fascination de nombreux cinéastes de fiction pour cette guerre (Deer Hunter de Cimino (1978), Apocalypse Now (1979) de Coppola, Platoon de Stone (1986), Full Metal Jacket de Kubrick (1987)). Dans Full Metal Jacket, une célèbre scène (voir ci-dessous) pendant laquelle on entend en arrière fond le morceau Surfin' Bird de The Trashmen montre un cameraman en train de tourner qui essuie les commentaires ironiques des soldats qu'il filme. Le film est une arme de guerre, un élément du quotidien des opérations militaires.
Cette importance de l'image filmée ne doit faire oublier le rôle du photoreportage dans la dénonciation de cette "sale guerre". Pour illustrer cet article, nous avons pour cette raison choisi la photo pour laquelle Nick Ut a obtenu le prix Pulitzer en 1972. Cette photo a le mérite de faire réfléchir sur la complexité du rapport entre les médias et la guerre. Prise en 1972, elle a bien plus incarné une prise de conscience internationale relative aux atrocités de la guerre qu'elle n'a contribué à en infléchir le cours.
Cette importance de l'image filmée ne doit faire oublier le rôle du photoreportage dans la dénonciation de cette "sale guerre". Pour illustrer cet article, nous avons pour cette raison choisi la photo pour laquelle Nick Ut a obtenu le prix Pulitzer en 1972. Cette photo a le mérite de faire réfléchir sur la complexité du rapport entre les médias et la guerre. Prise en 1972, elle a bien plus incarné une prise de conscience internationale relative aux atrocités de la guerre qu'elle n'a contribué à en infléchir le cours.
Sur le destin hors norme de la petite fille de cette photo (Kim Phuc), on lira avec profit l'article du Monde du 18 juin 2012 rédigé par Annick Cojean intitulé "La fille de la photo" sort du cliché.