La bataille de Stalingrad: du mythe à la réalité.

Photo de la fontaine de Barmaleï réalisée par Emmanuel Ievzerikhine en 1942.

Avec plus de deux millions de morts, Stalingrad est la bataille la plus meurtrière de l'histoire de la Seconde guerre mondiale et donc de l'histoire de l'humanité. Il s'agit de la seconde défaite de l'armée allemande depuis 1940 (après El-Alamein) et de la première en Europe. Elle met fin au mythe de l'invincibilité de l'armée allemande et de la guerre rapide à l'Est: C'est à Stalingrad que les gonds du destin ont tourné comme l'écrivit Churchill.

Cette bataille est la conséquence de la véritable croisade contre le communisme lancée par Adolf Hitler le 22 juin 1941: l'opération Barberousse. Le communisme représenté sous la forme d'une pieuvre par la propagande nazie est désigné comme un ennemi à abattre pour des raisons idéologiques mais Hitler souhaite aussi s'emparer d'un espace vital (Lebensraum) à l'Est, reprenant ainsi le projet de poussée vers l'Est (Drang nach Osten) en conformité avec ce qu'il avait prétendu dans son livre programme Mein Kampf. Hitler souhaitait non seulement conquérir un vaste territoire à l'Est mais aussi en expulser par tous les moyens les habitants considérés comme inférieurs (slaves et juifs) afin d'y installer des Allemands en conformité avec son idéologie raciste. Dans le même temps, l'Allemagne nazie imaginait pouvoir s'emparer du grenier à blé ukrainien afin d'éviter que l'Allemagne ne soit affamée comme elle avait pu l'être pendant la Première guerre mondiale.

L'armée allemande se lance de toutes ses forces dans la guerre contre l'Union soviétique: 4 millions d'hommes, 3350 chars, 7000 canons, 200 avions, 600000 chevaux. La victoire doit être tellement rapide qu'elle ne prévoit pas de vêtements d'hiver. La guerre que déchaîne Hitler contre l'URSS est une guerre d'extermination qui confond militaires et civils en faisant de la guerre contre les partisans communistes un prétexte aux massacres administratifs. Cette guerre prévue dès l'automne 1940 est voulue par Hitler malgré les réticences des généraux de la Wehrmacht face à l'ouverture d'un second front. Au nom de son expérience d'ancien soldat aguerri, il choisit de prendre toutes les décisions stratégiques dans le cadre de la guerre à l'Est. Il commet ainsi de nombreuses erreurs.


Cependant, derrière le mythe de Stalingrad qui commence alors à se répandre en Europe, il y a la réalité d'une guerre totale réalisée avec des méthodes totalitaires.


Sa stratégie d'offensive permanente aboutit à l'extension démesurée du front. Après l'échec de la prise de Moscou à la fin de l'année 1941, Hitler redéfinit les priorités de la guerre. Il envoie en direction du Caucase et de Bakou les armées situées au Sud du front de l'Est. L'objectif est de s'emparer du pétrole de la mer caspienne. Sur leur route, les armées allemandes sont censées conquérir la ville de Stalingrad afin d'empêcher l'armée rouge d'utiliser ce noeud de communication pour reprendre pied dans la région. Dans un premier temps, la Wehrmacht parvient à prendre Stalingrad après avoir pris pied sur la colline Mamaïev et écrasé la ville sous un tapis de bombe. Mais la prise de Stalingrad a étendu le

front en profondeur et permis à l'armée soviétique d'encercler par le Nord l'armée allemande: c'est le plan uranus imaginé par les généraux Joukov et Vassilievski. D'autre part, l'armée allemande connaît de nombreux revers à Stalingrad défendue par des hommes ou des femmes militaires et civils avec rage malgré leur manque d'équipement (les

soldats allemands parlent avec mépris de "Rattenkrieg" ou guerre des rats). Le 31 janvier le général de la VIème armée allemande Paulus se rend et le 2 février les troupes allemandes capitulent définitivement.

C'est une catastrophe pour l'armée allemande dont plus de 100000 hommes sont faits prisonniers ainsi que le maréchal Paulus. D'autre part, elle permet à l'industrie russe située à l'Est de la Volga de dépasser l'industrie allemande dans le domaine militaro-industriel comme le montre la bataille de Koursk à l'été 1943 où la supériorité soviétique en matériel se manifeste pour la première fois. Enfin, c'est à partir de cette date que le prestige de Hitler commence à diminuer en Allemagne et en Europe et que la résistance reprend courage.

Cependant, derrière le mythe de Stalingrad qui commence alors à se répandre en Europe, il y a la réalité d'une guerre totale réalisée avec des méthodes totalitaires. Ainsi, l'interdiction de désertion était mise en oeuvre de chaque côté du front par la police politique qui était chargée d'exécuter tout soldat refusant le combat. D'autre part, il est fort difficile de ne pas s'interroger sur les conséquences paradoxales de cette victoire soviétique comme le fit l'écrivain Vassili Grossmann qui fut présent à Stalingrad en tant que reporter de guerre dans son livre Vie et Destin (1980): « Ce qui se jouait, c'était le sort des Kalmouks, des Tatars de Crimée, des Tchétchènes et des Balkares exilés, sur ordre de Staline, en Sibérie et au Kazakhstan, ayant perdu le droit de se souvenir de leur histoire, d'enseigner à leurs enfants dans leur langue maternelle. Ce qui se jouait […] c'était le sort des Juifs, que l'Armée rouge avait sauvés, et sur la tête desquels Staline s'apprêtait à abattre le glaive qu'il avait repris des mains de Hitler, commémorant ainsi le dixième anniversaire de la victoire du peuple à Stalingrad. ». La victoire de Stalingrad ne fut pas la défaite définitive du totalitarisme: elle fut au mieux le début de la victoire du peuple russe contre le nazisme que symbolise dans la mémoire de nombreux Russes la photo d'Emmanuel Evzerikhin ci-dessus.

On pourra écouter en complément l'interview de l'historien Anthony Beevor (auteur d'un livre intitulé Stalingrad (1998) et grand spécialiste de Vassili Grossman) réalisée par Daniel Mermet pour France Inter en 2003 et rediffusée à l'occasion du soixante-dixième anniversaire de la victoire de Stalingrad à écouter ici.