Israël et le monde arabe : les mutations d'un conflit
Jusqu'au plan de partage du 29 novembre 1947, la Palestine est un ancien mandat de la SDN sous administration britannique. La partition proposée en novembre 1947 est le produit de la résolution 181 votée par l'Assemblée générale des Nations Unies. Elle aboutit à une carte établie en fonction du peuplement et de l'état de la propriété foncière dans les différentes régions. L'intransigeance du camp palestinien et du camp sioniste débouche sur un refus de ce partage qui dégénère en conflit armé entre le jeune Etat d'Israël et ses voisins à partir de la Déclaration d'indépendance de l'Etat d'Israël du 14 mai 1948. Les Etats arabes voisins décident d'intervenir en prenant pour prétexte l'absence de frontière fixée par cette Déclaration au nouvel Etat. De fait, les frontières en Palestine ne font alors pas consensus. La guerre entre les Israéliens et les Etats arabes voisins qui dure jusqu'à l'été 1949 aboutit à leur redéfinition au profit de l'Etat hébreux et provoque l'expulsion de 350 000 Palestiniens en direction des pays frontaliers (Liban, Jordanie...). C'est le début du problème des réfugiés palestiniens qui déstabilise durablement le Proche Orient. Cette première guerre que les Israéliens qualifient de Guerre d'indépendance et les Palestiniens de Catastrophe (al-Nakbah) ne s'insère pas encore de façon évidente dans la logique de "Guerre froide". Le jeune Etat hébreux reçoit alors le soutien commun de l'URSS et des Etats-Unis pour garantir sa survie. Ce n'est qu'avec la Crise de Suez (1956) que le conflit israélo-palestinien voit deux camps distincts s'affronter.
Britanniques, Français et Israéliens s'opposent militairement à la nationalisation du Canal de Suez par Nasser alors que ce dernier est soutenu par l'Union soviétique qui menace d'une riposte nucléaire si l'armée israélienne, qui a envahi une partie du territoire égyptien, ne se retire pas dans ses frontières de 1949. Les Etats-Unis interviennent pour calmer le jeu tout en soutenant l'Etat israélien au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (aucun Etat arabe ne reconnaît alors Israël). A partir de 1956, on peut considérer que le conflit israélo-arabe est alors un conflit périphérique de la Guerre froide malgré l'importance des intérêts locaux et régionaux en jeu.
La Guerre des six jours en 1967 et la Guerre du Kippour en 1973 entérinent cette logique bipolaire selon laquelle l'Union soviétique soutient les Etats arabes et les Etats-Unis soutiennent Israël. Ces deux guerres sont favorables à l'Etat hébreux dont les frontières débordent progressivement celles de 1949. L'ONU s'oppose à cette évolution à partir de 1967 par le biais de la résolution 242 qui demande un retrait des forces israéliennes des "territoires occupés" ("to withdraw from occupied territories"). Ce retrait se produit de façon très progressive et incomplète selon des modalités qui continuent à faire polémique. La Cisjordanie et le plateau du Golan sont encore aujourd'hui occupés et le statut de la bande de Gaza discuté depuis 2005. D'autre part, la colonisation israélienne en Cisjordanie est à l'origine d'un mitage qui crée un territoire palestinien en archipel à l'origine de nombreuses difficultés pour les Palestiniens.
A partir des années 1980, le conflit israélo-palestinien s'autonomise et devient le symbole de la déstabilisation et de la redéfinition des relations internationales. La première Intifada, appelée aussi "guerre des pierres", est un conflit asymétrique entre un Etat hébreux surarmé appartenant aux pays du Nord économique et une population palestinienne qui revendique la création d'un Etat palestinien autonome avec le soutien de l'Organisation de Libération de la Palestine. Les accords d'Oslo (1993) prévoient de régler les tensions entre Israël et la Palestine en mettant en oeuvre une politique de coopération économique plus particulièrement dans le secteur de l'eau mais cette volonté est remise en cause par le renforcement d'une stratégie sécuritaire à la fin des années 1990. Cette dernière aboutit à la construction d'un mur à partir de 2002 malgré l'opposition de l'ONU.
La montée en puissance de l'intégrisme religieux à partir de la fin des années 1980 contribue à éloigner tout règlement pacifique du conflit. Le Hamas ou "Mouvement de résistance islamique" est créé en 1987 par Sheikh Yassine issu des Frères musulmans. Il prône la destruction de l'Etat d'Israël et l'instauration d'un Etat islamique en Palestine. Le clivage Nord-Sud se double ainsi d'un conflit de religion voire de civilisation. C'est la raison pour laquelle il a été érigé en modèle par les partisans du paradigme du choc des civilisations qui s'impose à partir des années 1970 dans une partie du monde occidental (diplomatie américaine des présidents Bush) mais aussi dans le monde arabo-musulman (cf. Al-Qaida). Ce paradigme ne doit pas faire oublier le rôle des inégalités de développement dans l'explication du conflit israélo-palestinien qui succède au conflit israélo-arabe dans les années 1980.
La résolution du conflit israélo-arabe nécessite que les extrémistes des deux camps cessent d'assassiner les pacifistes de leur propre bord comme ce fut le cas pour Anouar el-Sadate en 1981 et Yitzhak Rabin en 1995.
Le conflit multiforme qui oppose Israël au monde arabe est à l'origine d'une déstabilisation du Proche Orient. Au nom de leurs valeurs communes, l'ONU et la République française tentent de promouvoir une solution conciliée conforme à la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cela nécessite la remise en cause de la logique militaire de conquête (problème des colonies israéliennes en territoire palestinien) et de ses conséquences catastrophique (massacre de Sabra et Chatila (1982) ou Guerre de Gaza (2008)) mais aussi l'organisation d'une politique de développement efficace dans les territoires occupés permettant de faire reculer le fondamentalisme. La résolution du conflit israélo-arabe devenu israélo-palestinien nécessite que les extrémistes des deux camps cessent d'assassiner les pacifistes de leur propre bord comme ce fut le cas pour Anouar el-Sadate en 1981 et Yitzhak Rabin en 1995. Pour l'instant, les partisans de la guerre nourrissent une solidarité conflictuelle réciproque malgré leur apparente opposition.
N.-B. : Le conflit israélo-palestinien n'est qu'un des exemples de l'affirmation du clivage Nord-Sud dans les années 1980. Il revêt pour l'Europe une importance particulière car il s'inscrit en profondeur dans l'histoire des juifs européens et concerne l'interface méditerranéenne qui est la principale zone de contact entre l'Europe et les pays du Sud économique. Cependant, comme le souligne l'historien libanais Georges Corm, les Européens doivent sur ce sujet prendre garde à ne pas être "narcissiques jusque dans le remord".
En complément, on regardera avec profit cette conférence donnée par le spécialiste du Proche-Orient Henry Laurens dans le cadre de l'Université de Genève. Il y explique les différentes étapes de la transformation du conflit israélo-arabe en un conflit israélo-palestinien parallèlement à l'effacement de la logique de guerre froide.